12.15.2009

Yangshuo City

Sise au creux d’une vallée luxuriante où s’écoule la paisible rivière Li, la douce cité de Yangshuo, bourgade autochtone ensommeillée, ne semble pas subir les outrages du temps qui passe. Houla! Stop! On arrête tout! Car il est loin le temps où la voix ronronnante d’un Jean Topart repu pouvait louer les enchantements de la défunte Yangshuo, car oui: Yangshuo est morte. Et son cadavre desséché, piétiné quotidiennement par des hordes de touristes crétins déversés par tour-operateurs entiers dans ses ruelles défigurées.

De ce qui devait être un charmant village au cœur d’un des plus beaux paysages de Chine, il ne reste qu’un fantôme cynique bouffé par le tourisme de masse. Que l’on visite avec les yeux qui saignent. Les vieilles maisons traditionnelles disparaissent derrière les enseignes clignotantes rédigées en anglais, qui promettent pizzas fluo, et autres free drinks, happy hours, service 24/24, massages, cours de cuisine typique, spectacles son et lumière. Et l’on entend, s’échappant des échoppes de la rue principale rebaptisée West Street, des tubes pop des années 80 ou du reggae. Les noms des établissements ciblent sans équivoque le gringo, dans un charabia globalisé du pire effet: Café del Moon (sic), Rick’s Cafe Casablanca, Kelly’s, Marco Polo’s hotel, ce dernier comportant au rez-de-chaussée un bar bruyant qui offre à la rue ébahie - pour les uns, blasée pour les autres - le spectacle navrant d’une jeune danseuse mi-nue se frottant mollement à une barre verticale avec la sensualité d’un ravioli bouilli. C’est pathétique.


C'est qu'un jour, les chinois ont entendu le conseil de Deng Xiaoping: « Enrichissez-vous! », et cette simple fin justifie aujourd'hui tous les moyens.

Alors, si vraiment vous devez vous rendre à Yangshuo, qui est par ailleurs une bonne base de départ pour découvrir les paysages extraordinaires de la région, sublimes plus pour longtemps, tant le moindre arbre centenaire devient prétexte à l’application d’un droit d’entrée et à la mise en place de buvettes de fortune - avec leurs déchets obligés jonchant les lieux - et de marchands de pacotille à beaufs planétaires, comment ne pas - trop - s’y faire avoir?
D’abord, on évite le «Levôtre Cafe », tenu par un français copain du guide du Routard, où l’on mange mal. On évite l’ensemble des bars et restaurants estampillés « Rosewood »( regarder sur les badges des serveurs ), du nom du « Rosewood Inn », hôtel assez bon marché à l’accueil adorable mais aux prestations bancales, donc on ne va pas au Cafe del Moon, par exemple. Ni à l’une des enseignes Woodfired Pizza, sauf pour rire un grand coup devant la déco. Et pleurer devant ladite pizza.
Pour les petites faims, on peut recommander la boulangerie Lou’s Bakery et ses bons petits sablés. Pour boire un verre sur fond de reggae, mais un peu à l’écart de l’agitation, sur une petite terrasse au bord d’un canal, The Balcony convient mieux que le Riverview Cafe ( ou Riverside? allez vous souvenir!), qui nous servit une énorme tomate cerise avec notre dry martini.


Pour se mettre à table, vraiment pas simple, et de très loin ce qu’on a mangé de moins bon en Chine, au pire le Mei You Cafe, qui reste correct quand l’atmosphère n’est pas envahie de groupes de touristes bruyants et fumeurs, ou sur le pouce au très économique Dynasty of Dumplings, qui offre toutes sortes de raviolis vapeurs corrects ( je n’ai pas dit: bons ).
Et puis, en attendant de meilleures nourritures terrestres, aller se balader le long de la rivière Li, y faire un tour en radeau de bambou, prendre un cours de cuisine à la très professionnelle et anglophone Yangshuo Cooking School, et surtout, surtout, passer des heures au fabuleux marché fermier, face à la gare routière, aller de découverte en découverte, et comprendre ainsi que l’âme de cette Chine qu’on croyait anéantie, continue de s‘ébattre, à l’abri des regards envahissants, authentique, brute, dans son jus. Un vrai concentré de traditions dans un hangar crasseux. Recoins oubliés. C’est souvent là qu’est la vie.

On repense à la jeune strip teaseuse fatiguée de la West Street, à la jeunesse évanouie. Et on en veut, un peu, à Deng Xiaoping.

12.14.2009

T’as voulu voir Yangshuo et on a vu Yangshuo


Si l’action du film King Kong se déroule à New York, où se déroule celle du film King York? Comment se fait-il que l’on puisse entrer dans une cité alors même qu’elle est interdite? Où parviendrai-je enfin à actualiser mon statut Facebook? Où passer à coup sûr la plus mauvaise soirée au pays du soleil levant? Où dormir comme un bébé? T’as mangé du chien ou bien? Est-ce que l’énorme et vieux ventilateur essaie toujours de brasser l’air lourd d’odeurs?

Autant d’interrogations métaphysiques auxquelles nous tenterons de répondre au fil des quelques billets ( de 10 yuans, 20 dollars hongkongais ou 30 patacas) relatifs à deux semaines passées entre le zist et le zest. Mais puisqu’un bonheur ne vient jamais seul voire pas du tout, voici les réponses aux questions qui nous taraudent depuis le début de ce post:

1/Hong Kong - 2/ Pfff…- 3/Hong-Kong - 4/Yangshuo - 5/ Hong Kong - 6/ Ah, c’était du chien, j‘avais pourtant commandé du rat frit…- 7/euh…Sha la la ô?

Ici, un constat s’impose, dont au moins deux évidences:
1/ En matière de nourriture, la Chine en impose. Car oui, on y mange du rat frit, mais aussi du chien, du chat, de l’écureuil, des escargots, serpents, grillons, tortues, lombrics…
2/ Une réponse sur deux est: Hong Kong. Ou presque.
3/ Il faut bien connaître le grand orchestre du Splendid pour profiter pleinement du contenu de cet article.


Plus sérieusement - mais pourquoi, grands dieux, pourquoi? - nous tenterons de vous faire humer, palper voire gober quelques sensations et plaisirs nécessairement fugaces de notre minuscule périple en terre de Chine, patrie stressante et obligée, accueillante et bourrue, contrastée, baroque, et démultipliée. Nous irons à Pékin, Hong Kong, Macao, Guilin, Xi'An...

Et parce que le meilleur y côtoie le pire, le dos de la cuiller a décidé de vous gratter sous les ors du régime et de vous dévoiler le revers de la baguette. En commençant dès demain par Yangshuo, authentique cité toc et cauchemar à ciel ouvert.

12.04.2009

Brûlant: Pékin, Hong Kong, et des surprises!



Le dos de la cuiller vous concocte un billet sur quelques adresses époustouflantes au pays du soleil levant, de la cité interdite à Macao, de Hong-Kong à la grande muraille, des palaces aux gargotes, où manger et dormir pour se rassasier le corps et l'âme.

11.26.2009

Lapérouse: rubis sur l'ongle



Vous voulez du monumental? Du trié sur le volet? De l’exceptionnel? Du chic, du clinquant, du kitsch, du douillet, du select, de l’exclusif, du rubis sur l’ongle?
Vous poussez la porte du mythique établissement Lapérouse, rempli d’espérance et un guide touristique en bandoulière - ce qui n’est déjà pas si simple à exécuter physiquement, j’en conviens - et jetez un œil au décor, dans son jus, qui nous évoque instantanément u modre kachnicky version cosy parisien (le bar, juste rénové), et d’un historique à faire pâlir Internet Explorer après une décennie de surf endiablé.
Accueil parfait, grand style. Si vous avez réservé un salon privé (ce que l’on vous enjoint à faire illico), vous serez guidés à travers un dédale de couloirs et d’entresols jusqu’à l’alcôve feutrée qui servira d’écrin à votre dîner: unique, magique, so chic! Car si l’on va aujourd’hui chez Lapérouse, vieille gloire hoquetante au destin chaotique - mais le nouveau chef est sur la bonne voie - c’est avant tout pour vibrer devant l’évocation d’un luxe révolu, pour se frotter à une excellence fantasmée, pour caresser l’argenterie hugolienne - car oui, Victor, comme George Sand et Emile Zola, y avait ses habitudes.

Dans ce petit salon privé, nous goûtâmes quelques mets en parfaite adéquation avec le cadre: homard breton rôti, ravioles de cèpes et « sot-l’y laisse », lièvre à la royale, classiques parfaitement exécutés, voire (très) prudemment revisités. Le tout servi avec panache et professionnalisme. Desserts franchement oubliables. Carte des vins calée, où l’on peut dénicher quelques rares flacons abordables - notre choix: Vin de pays de l’Hérault, Domaine la terrasse d’Elise, cuvée Pradel, 2005. Déjà 90€, sic. Mais absolument magnifique.

Cette belle bouteille nous accompagna de son cinsault bienveillant, dans le salon feutré dit "des Sénateurs", au cœur de cette maison cossue qui hésite ou peine à basculer dans le 21e siècle, que certains trouveront délicieusement surannée sous son lustre désuet, que d’autres jugeront inabordable, approximative ou hors sujet. C’est sans doute pour cela qu’il faut l’aimer: pour son atypicité, son décalage, et malgré elle. Oublier les doubles saltos vrillés de l‘addition, ce qui demande pas mal de souplesse et de décontraction, et se laisser bercer par ces reflets d’un temps que les moins de cent ans ne connaîtront jamais, sourire aux miroirs rayés de diamant, et terminer la nuit sous la couette, frôlés par des fantômes...

11.21.2009

Bon alors, sérieusement, ce Beaujolais Nouveau?




Cette année, qualifiée de « millésime exceptionnel » par les « professionnels » (source AFP), sera sans doute déglutie avec un rictus pincé par les clients, comme chaque troisième dimanche de novembre…sauf s’ils ont la chance de tomber sur les quelques cuvées passables élaborées par les rares vignerons à savoir réaliser un bon vin primeur, quoiqu’en général vendu beaucoup trop cher.

Ce jeudi 19 novembre 2009, nous avons passé une belle soirée dans quelques lieux que nous affectionnons et dont nous vous reparlerons: Ma Cave Fleury, Le repaire de Cartouche et Les Enfants Rouges, et dégusté 12 vins. Impressions sans prétention:

Muscadet primeur, Grain de raisin, Jo Landron
En ouverture, un délice, vif, acide, joyeux.

Vin nouveau du Tue-Bœuf, vin de table, Puzelat
Non filtré et ca se voit, un rien perlant, équilibré, désaltérant, plaisant, arômes délicats de cerise burlat, assez bon.

Beaujolais Nouveau, Marcel Lapierre
Un superbe ratage, nez agréable, mais en bouche, on pense d’abord à de la Badoit ou un très mauvais cidre, puis le vin est complètement dissocié, peu de fruit et une finale lourde pleine de levures, franchement infect.

Beaujolais Nouveau, Domaine du Vissoux, Pierre-Marie Chermette
Délicieux, la plus belle réussite en beaujolais nouveau cette année, vivacité, petite acidité en finale, un modèle de Beaujolais, même s’il n’est pas vraiment typique du Beaujolais primeur.

Beaujolais Nouveau, Domaine des Terres Dorées, L’ancien
On adore le travail de Jean-Paul Brun en blanc, mais toujours pas convaincu par ses rouges: en dépit d’un très joli nez, la bouche est pleine de gaz, et l’ensemble est dominé par une astringeance gênante. Peu de fruit, court. Arômes de cassis, sans vivacité.

Beaujolais Nouveau, Foillard

Très représentatif du beaujolais nouveau, nez et goût de banane. Pas extra. Pas catastrophique non plus.

Et puis nous avons aussi goûté quelques flacons de grande qualité, pour nous consoler le palais:

Un Côtes du Rhône, Gramenon, La Sagesse, 2007, irréprochable, tanins un peu serrés, à carafer sans doute plus longuement, ou mieux à attendre. Un Bouzeron, A et P de Villaine, 2007 délicieux, un Châteauneuf du Pape rouge, Domaine du Vieux Télégraphe, 2003, joli nez, mais bouche un peu lourde, fruits noirs, cacao, fidèle à l’appellation et au millésime, qui nous fait encore une fois préférer la vallée du Rhône septentrionale. Mêmes réserves pour le Vin de Pays d’Oc, Domaines des Creisses, Les Brunes, 2001, très mur, riche, vin de repas par excellence, de prime abord très alcooleux, puis grandement amélioré par l‘oxygénation, malgré un manque d’acidité et de vivacité.

Et enfin, les deux merveilles du jour:

Chambolle Musigny, Combe d’Orvaux, Anne Gros, 2006
Une belle longueur, robe translucide, beaucoup de délicatesse et de subtilité, très joli. Magnifique Pinot Noir

Côtes de Bourg, Roc de Cambes, 1997

Sublime bouteille, bordeaux à la grande personnalité, vivant, complexe et raffiné. Modèle d’équilibre et d’harmonie. Du plaisir pur.

Mais revenons à la vedette de la soirée: le très contestable beaujolais nouveau. A part la cuvée de Pierre-Marie Chermette, pas grand choses à retenir. On préfère se souvenir de la merveilleuse couverture de Charlie Hebdo publiée il y a quelques années: un dessin de Michael Jackson accompagné d’un bambin. En titre, une question fondamentale: quel est le point commun entre Michael Jackson et le Beaujolais nouveau? Réponse du marmot: ils ont tous les deux le goût de banane!

This is it!

11.20.2009

La claque Donostia!





Alors que la presse (papier) bruisse (quand on la chiffonne) et s’enfle (quand on la gonfle) d’une rumeur selon laquelle Tokyo serait la nouvelle capitale mondiale du goût, le dos de la cuiller se doit de vous révéler ce scoop faramineux: loin des mégalopoles globalisées, la vraie capitale du goût, c’est San Sebastian l‘espagnole (ou Donostia la basque, si vous y tenez).

D’abord ça tombe bien, parce que c’est beaucoup plus près de chez moi, et ensuite ça tombe encore mieux, parce que j’en reviens!

Après nos dernières péripéties macaronées ( Auberge Basque, Arzak, Berasategui, Mugaritz ), force est de constater que la plus grande découverte de ce voyage en pays basque eut lieu au hasard des comptoirs à pinxos de Saint Sébastien la bien nommée ( en tout cas mieux que Trouville ) et son euphorie gastronomique de tous les instants.


Il faisait froid. Nous arpentions la vieille ville, touristique, qui regorge d’établissements où l’on mange debout, au comptoir, à toute heure du jour et de la nuit. Les vins débutent à 1€ le verre, les tapas à 2€. Cadeau. Pour les plus nantis, il y a aussi de belles assiettes de Pata Negra (15/20€ pour le meilleur Bellota jamais dégusté) et de grands crus d’Espagne à des prix imbattables (Baron de Chirel 2000 à 50€, Finca Dofi à 70€, Gran Clos à 48€, j’en passe et des…hips!…meilleures). Et c’est là le talent magique de Donostia, ce brassage de clientèle, cette mixité sociale, cette décontraction totale alliée à une créativité digne des plus grandes tables étoilées.


Mais encore?

Quelques pistes, même si le mieux est encore d'aller se perdre dans les rues de la vieille ville ou du nouveau quartier qui monte: Gros. Vous y trouverez notamment les remarquables pinchos du bar-restaurant Alona Berri, qui peut bien revendiquer sa « haute cuisine en miniature »: mention spéciale pour le Millefeuille de pomme de terre et foie gras ou la pastilla de pigeon. Dans le centre historique, on pourra tenter un superbe foie gras poêlé à la Cuchara de San Telmo, ouvrir un très beau flacon dans un restau branché de la rue abuztuaren hogei ta hamaikako ( Montaditos et pinchos un cran en-dessous néanmoins, préférer la portion de Bellota 5J, d’un bon niveau ), ou mieux, jouir de la proposition exhaustive de notre petit chouchou: Astelena 1960, dans un angle de la plaza Constitucion, un bar dans son jus, avec un très bon accueil ( ce n’est pas le cas partout ), et un filet de bœuf aux légumes d‘anthologie!


Difficile de faire le tour de la carte: cuisses de grenouille, oursins, magret de canard, foie gras toujours, tartelettes de crabe nous ont notamment épatés. Enfin, pour les amateurs de cosy somptuaire, un petit grog au bar de l’hôtel Maria Cristina, histoire de se remettre des frimas prématurés de la mi-octobre. Il y a aussi de très belles chambres.

11.19.2009

Le Jolijolais est-il moins beau que laid?



Chaque année, la même antienne: alors, ce Beaujolais nouveau, il est bon? Et toujours la même réponse: ben non!





Cela me rappelle la réponse du comédien François Morel à qui je proposais un verre de ce breuvage frais émoulu il y a pile-poil un an: « merci, mais j'aimerais mieux du vin ».

11.16.2009

Martin Berasategui: somebody's perfect.





Ce dimanche après-midi, le grand menu dégustation du restaurant de Martin Berasategui était le suivant:

Laminé de cabillaud légèrement fumé
sur poudre de noisette, café et vanille (2007)

Mille-feuille caramélisé d'anguille fumée et foie gras
crème de petits oignons et pomme verte (1995)

Gazpacho de pêche de vigne
avec infusion de coques au Txakoli (2007)



Jus clair de crustacés et gingembre
sur arômes de légumes (2008)

Consommé de chipiron
ravioli farci de son encre et croustillant (2001)



Huître à la chlorophylle de cresson, roquette et pomme
crème de citronelle, aux herbes d'oxalis acetosella (2006)

Perles de fenouil
crues, en risotto, et en émulsion (2009)

Bonbon de fromage à l'huile Carabana
accompagné d'endives, jus d'oignon rouge et joue de porc (2009)



Oeuf de ferme avec betterave
Salade liquide d'herbes, carpaccio de ragoût basque et fromage (2007)

Salade tiède de coeurs de légumes avec crustacés
crème de laitue de ferme et jus iodé à l'huile (2002)



Rouget Rôti et ses écailles comestibles
jus de chocolat blanc avec algues (2009)

Pigeon d'Araiz rôti
Pâtes fraîches aux champignons et petits oignons, touches de crème truffée (2008)

Chaud-froid de pomme
et racines de plantes (2008)



Miettes de charbon avec gelée de yogourt
petites touches acides de fraises, citronnelle et fruit de la passion (2009)

Soupe froide de banane et vanille
agrumes et crème glacée (2009)


Un modèle du genre, équilibré, varié, délicieux. Quelques entrées limpides pour exciter le palais, quelques plats aux arômes se développant crescendo, et des desserts comme il se doit: frais, légers, bienveillants, qui ne se prennent pas le chou après autant de saveurs accumulées.
Pour définir le restaurant de Martin Berasategui, je choisirai l’adjectif incontestable.

L’ensemble de l’expérience est d’une cohérence unique.



S’il fallait que nous trouvions à redire, nous irions fouiner du côté du directeur de salle un peu figé, de la déco façon ROMEO, ou d’un plat ( le bonbon de fromage, au bouillon un peu lourd) qui nous à paru moins percutant. Et c’est tout.
Ce repas est un des plus beaux que nous ayons jamais fait, aux côtés de ceux goûtés au Fat Duck d'Heston Blumenthal, à l'Astrance de Pascal Barbot, et au Celler de Can Roca à Girone.
Le service du dimanche midi se termine, tout en fluidité, et le chef nous sourit. C’est effectivement ce que nous avons tous envie de faire ici.



11.12.2009

Arzak: le grand écart


Le restaurant triplement étoilé de Juan Maria Arzak nous fut une énigme mâtinée d’instants de joie. Car en effet, que dire d’un établissement qui fait si étonnament le grand écart entre application et désinvolture? Et entre l’hyperclassique et l‘expérimental?






Service inégal: accueil façon taverne palermitaine - on a vraiment l’air si louches que ça? - puis présentation du menu style grande maison, et en français s’il vous plaît. Amabilité, efficacité, conseils avisés.
Carte des vins superbe, exhaustive, notamment en crus d’Espagne. Nous demandons, en espagnol, au sommelier de nous suggérer une belle bouteille. Il pointe aussitôt le doigt vers un Albarino du Rias Baixas, et ponctue son geste d’un laconique: « ça, c’est bon ». Devant une telle autorité bourrue, on ose à peine lui demander quelques détails sur le vin, on va se risquer, mais le bougre nous a déjà claqué la carte au visage, pour foncer chercher ledit flacon, en traversant à grandes enjambées la salle encore clairsemée, moulé dans son petit tablier de cuir tendance jupette de centurion SM - oui c’est assez étrange, j’en conviens. Un peu comme si Jean-Paul Gaultier relookait les serveurs de l’ambassade d’Auvergne.
Un peu plus tard, le même individu nous assènera un gaillard coup dans le dos, en nous lâchant dans un sourire débonnaire: « Alors, t’as vu, c’est bon, hein? ». Ça tranche avec les manières grand style du directeur de salle, mais l’ensemble est encore une fois moins odieux que déconcertant.





Pareil dans l’assiette, quelques plats éblouissants, comme ces bouchées de figue au foie gras, rien moins qu’exceptionnelles sur une association pourtant rebattue, ou cette ventrèche de thon blanc inoubliable qui mériterait à elle seule le voyage depuis Compostelle. Mais aussi quelques propositions ennuyeuses, comme un merlu bien morne, que nous avons préféré renvoyer.
Difficile, de fait, d’appréhender l’univers d’Arzak, qui passe d’un plat de viande très traditionnel à un dessert on ne peut plus avant-gardiste. C'est curieux, cette sauce lourdingue sur un poisson - limite cafeteria hormis la cuisson, parfaite - suivie d’une assiette constellées de sphérifications selon les techniques de Ferran Adria.
C’est le plus souvent dans la tradition, à peine réinterprétée, que la cuisine d’Arzak se révèle délicieuse de justesse. Le goût est là, dans toute sa plénitude et sa gourmandise. Quand le chef s’égare dans les chemins risqués de la cuisine moléculaire, il ne convainc pas. Curieusement, les sphères de petit pois ou les oignons frits dorés à la poudre de bronze sont fades ou démodés.





Se dégage de l’expérience une sensation d’incohérence, au mieux de flou artistique. La cuisine, où nous avons jeté un œil, est à l’avenant: un foutoir considérable, mais très vivant, familial et vibrant. Sauf la chef pâtissière qui rappelle Kathy Bates dans Misery, en toutefois moins avenante(sic).
Et puis il y a le chef . Ou plutôt, les chefs, Juan Maria étant depuis longtemps déjà secondé par sa fille Elena. Lui nous fait l’impression d’une vraie sincérité, et penche plutôt du côté de l’aubergiste facétieux que du chef étoilé qui se pose trop de questions. Une bonhomie qui rattrape les rares fourvoiements d’un repas somme toute vraiment réussi. Car à défaut de génie, Juan Maria Arzak a du talent pour deux.



Sur les photos, par ordre d'apparition:
Filet de merlu
Biscuit spongieux de yaourt
Une salade d'herbes et de jeunes pousses
Oignons frits et bronze pulvérisé
Figues à l'huile de foie gras
ventrèche de thon blanc

11.10.2009

Pour patienter...


Une fausse joie sur la toile. Alors que ma boîte mail vient de recevoir la newsletter d’Idealwine au sujet des prochaines ventes aux enchères de grands Bordeaux et autres flacons inabordables, mes pupilles hagardes aux matins chagrins balaient nonchalamment l’écran d’un clignement las, et découvrent, ô stupeur et délice mêlés, que Patrick Bruel a fini à l’hospice. J’écarquille, et là, la réalité morose reprend le dessus sur mes prunelles grisées. Car il fallait lire: « Belles enchères sur les grands liquoreux, Patrick Bruel aux Hospices, Blog Lynch Bages, Crus du Beaujolais » , les hospices concernés étant Les Hospices de Beaune, qui accueillent annuellement la très célèbre vente aux enchères viticole éponyme. Il paraît que Patrick Bruel est amateur de bons vins. Un peu comme Nicolas Sarkozy amateur d’art, sans doute. Mais au moins, tant qu’il achète du vin, Patrick ne fait pas de musique. C’est déjà une consolation.

En attendant, je vous laisse avec de vrais chanteurs:


Allez, très vite, nos impressions sur Arzak et Berasategui...miam!

10.31.2009

Mugaritz: L'anti bling-bling




Entrer chez Mugaritz, c’est un peu comme prendre le voile. Tout commence par un voyage hors de la ville. Après quelques bretelles d’autoroute et un vaste parking désert peu engageant, nous pénétrons dans une belle salle contemporaine à l’élégance zen. Il est 13h30 et - habitudes espagnoles obligent - nous sommes quasiment les premiers à nous asseoir à notre table d’un blanc immaculé. Il règne dans ce temple de la gastronomie un calme monacal, le sommelier a des boucles d’ange et sa voix est un murmure, même l’eau semble bénite.
Mugaritz, ce sera l’expérience anti bling-bling par excellence. Une succession de notes épurées, de saveurs douces et d’arômes discrets. Il faudra choisir entre deux menus - pas de carte - composés de nombreux plats soyeux et introvertis. Avec quelques fulgurances et quelques épreuves, qui font partie du chemin ( de croix? pas si sûr ).
Pour commencer, nous découvrons sur la table deux petites enveloppes contenant chacune un message. Le maître d’hôtel nous demande de choisir entre les deux messages, celui qui nous convient pour notre repas. Voyons plutôt:




Il eut été intéressant de choisir la souffrance, mais comme c’était le lendemain d’un dîner à l’Auberge Basque, j‘avais déjà donné. Nous optâmes donc pour la contemplation. Nous ne savons pas d’ailleurs si ce choix eut un quelconque effet sur le déroulement du repas, en tout cas la proposition eut le mérite de nous faire entrer illico dans l’antichambre du spirituel, de l’impalpable et de l’expérimental.




Pour le menu « Naturan » que nous avons choisi, les premiers plats donnent le ton:

Pomme de terre en croûte d’argile ( comestible, si, si ! )

Kokotxa de morue soyeuse, blanchie dans sa gélatine au miel de fleurs d’acacia

Ravioli farci d’araignée de mer et de châtaignes fraîches dans un consommé translucide de feuilles et pousses citriques

Du jamais vu. Ingrédients méconnaissables, proposition hautement technique, en un mot: késako? Vue d’ensemble: c’est blanc, gris, rose léger, coquille d’œuf, des couleurs pâles. C’est sphérique. Les goûts sont assez peu prononcés, les textures sont moelleuses, c’est rond. Pas désagréable, mais surprenant, apaisé, janséniste.


On commence à comprendre. C’est qu’ici tout est différent. La majorité des chefs architecturent leurs plats en travaillant sur les oppositions, le chaud et le froid, le sucré et l’acide, le fondant et le croustillant, le rouge et le vert. Andoni Luis Aduriz, lui, semble élaborer une cuisine de l’osmose, où les aliments s’épousent au lieu de s’opposer, une cuisine de rondeur, où les formes et les saveurs s’interpénètrent; une cuisine synesthésique et hermaphrodite. Là où nombre de ses confrères voudraient nous tirer des larmes de joie et des salves d’applaudissements, Aduriz entend faire sourdre en nous de l’émotion brute, qui résonne en nos profondeurs diffuses. Ainsi, la cuisine du Mugaritz est d’une rigueur minimaliste qui parfois surprend, et parfois éblouit. Par exemple quand elle s’applique à la cuisson d’un poisson aussi délicat que le bar, associé ici aux graines de courgettes.


Dos de Bar reposé sur un lit perlé de graines de courgette à la grille

Le tout est d’une délicatesse, d’une précision, d’une bienveillance qui laissent tout ému. Le petit Jésus en culotte de satin.

Mais à cet instant précis, comme pour nous faire mentir, le chef nous assène un premier direct du droit: Carpaccio à la vinaigrette aigre-douce, éclats de fromage Idiazabal et brins de végétation.



Et si la viande rouge a cette texture qui nous rappelle irrépressiblement quelque chose - mais quoi? Ah, zut, je ne connais que ça…- c’est qu’il s’agit de chair de pastèque et non de bœuf, déshydratée très lentement au four jusqu’à se confondre avec le traditionnel carpaccio bovin.
S’il ne fallait retenir qu’un seul plat, ce serait celui-là. Pourtant si différent de l’expérience entamée jusque-là, puisque explosif, tout en pointes acides et larmes sucrées, associées à un croustillant jouissif. Un grand, un immense plat. Après ce knock-out, Andoni ne nous laisse pas reprendre nos esprits et contre-attaque avec une bizarrerie:


Plat de salsifis fossilisé assaisonné avec œufs et accents marins

Premières impressions mitigées sur ce plat, l’impression de manger une branche d’arbuste très vert avec un goût de salsifis, et une poudre au goût poissonneux, un peu asséchante. Intéressant? Ça oui! Bon? Sans doute pas. Mauvais? Pas vraiment…et ce n’est que bien plus tard que nous nous sommes rendus compte que ce plat s’était inscrit ailleurs en nous. Que chacun de ses arômes de terre et de mer nous hante encore, que c’est un des goûts les plus inédits et les plus identifiables dont nous ayons aujourd’hui mémoire. Preuve que nos sens ont entendu ce plat quand notre cerveau nous a laissés en chemin.
Mais prend-on la vie autrement que par les épines?
S’il était un poète, Andoni Luis Aduriz serait sans doute René Char, à la recherche de l’ellipse et du dépouillement. Tout comme Olivier Roellinger serait Blaise Cendrars, comme Rodolphe Paquin serait Rabelais, comme Cédric Béchade serait Marc Lévy. Cédric Béchade de l’Auberge Basque, qui d’ailleurs a du faire un tour de ce côté de la frontière puisque nous avons retrouvé chez lui l’idée du rouget entier désossé goûté à la table du Mugaritz. Je ne lui ferai pas l’affront de me lancer dans une analyse comparative…

Suivront quelques plats de poisson et de viandes, peut-être moins percutants ou moins aboutis, mais toujours concis:

Sauté de Rouget désossé, appuyé sur un ragoût de viandes de porc ibérique, légumes et foies liés
Pièce de veau de lait rôtie et parfumée à la braise de sarments, thym, cendres, sel et radis croquants



Un plat très beau à regarder, que nous n’avons pas beaucoup aimé, sec, fermé. Mais peut-être l’épreuve fait-elle partie du chemin ( de croix? Toujours pas. )


Aiguillettes de Canard marinées avec un assaisonnement iodé, copeaux de truffe d’été

Puis des desserts dans la même veine, toujours hautement techniques si moins limpides:
Cuillérées de contrastes complémentaires, crème de lait, feuilles et confiserie

Morceau artisanal chaud et eau battue d’un miel à la noisette



C’est fini. Alors bien sûr on peut ne pas aimer cette cuisine intellectuelle, tendue, toujours sur le fil, on peut vanter les nourritures terrestres face à l’ascèse gourmande du Mugaritz. Cette cuisine d’artiste peut déconcerter, comme un prêche dans le désert, mais elle peut aussi séduire ceux qui, à défaut de prendre le voile, franchiraient bien les portes du monastère le temps d’un week end. Et dans sa retraite aimable, Andoni Luis Aduriz est l’homme qu’il leur faut.

Au sortir de ce repas, nous ne savons pas encore si la cuisine de Mugaritz est la cuisine de demain ou la cuisine unique d’un chef hors normes, mais nous savons une chose, elle n’a pas fini de stimuler, d’étonner, ni de passionner.

10.29.2009

Teaser: Mugaritz

En guise d'amuse-bouche, cette petite vidéo tirée d'un repas au Restaurant Mugaritz, dans le pays basque espagnol. Un repas étrange, surprenant, déroutant mais assurément inoubliable. Et demain, on vous dit tout!

10.22.2009

Faire débat




Une petite halte sur le chemin de l’Espagne, et c’est l’Auberge Basque, à côté de Saint Pée sur Nivelle. Au milieu de nulle part, ce qui est déjà quelque part. Mais tout juste.

Table louée par François Simon, qui est copain avec le chef Cédric Béchade, et encensée un peu partout - beaucoup - dans la presse. Et là, c’est le drâaame. Enfin non, pas tout à fait. Enfin si, quand même un peu. Mais pas que.

Ecartelés, nous sommes. Que dire? Comment décrire, critiquer, jauger, sans jeter le bébé avec l’eau du bain, et le lait de cuisson du haddock avec les filets d’églefin? Pas si simple.

Parce que la critique, c’est autre chose qu’un « j’aime/j’aime pas », parce que la critique doit être complexe et noble, foisonnante et respectueuse, étayée et insubordonnée, parce que la critique est un art honnête et subjectif, parce qu’il y a de saines colères comme des louanges douloureuses, puisqu’avant de mettre au monde il faut tenter de tout embrasser d’une même et irrépressible étreinte, voici nos deux avis sur l’auberge basque, et dans un même bref séjour, schizophrène, deux miroirs d’une même expérience, en absolu désaccord, et pourtant tous deux parfaitement sincères.


POUR

L’auberge basque: c'est si bon!

Après l’accueil adorable de Samuel Ingelaere, directeur du lieu et ancien de chez Veyrat, quelques minutes de repos moelleux dans les couettes taupes de la confortable chambre, à siroter une limonade/sangria maison et goûter les macarons d’une autre maison ( Adam, à Saint Jean de Luz ) qui nous attendent sur la table de nuit.

Puis un saut dehors, pour regarder le soleil descendre lentement derrière la montagne et profiter de la beauté du lieu. C’est calme, épuré, nous regardons l’auberge ancienne et sa partie rénovée, un beau bâtiment brut qui se découpe et s’insère dans le vallon millénaire. Fraîche quiétude d’une soirée d’automne. On est bien.


Nous passerons à table en contemplant la cuisine ouverte sur la salle, son ballet zen, ses plats sobres et maîtrisés. Archétypes d’une cuisine moderne, revisitant les classiques du terroir et les emmenant vers la nouveauté.

Le sommelier, qui nous avait accueilli, nous fraie un chemin éclairé dans la carte des vins relativement concise mais suffisamment complète pour satisfaire tous les goûts et toutes les bourses. Il y a de très belles affaires pour les amateurs de vieux - et bons! - millésimes

Le menu dégustation nous emmène en six plats et quelques petits satellites bienvenus dans ce qui pourrait être le modèle de l’auberge gastronomique du 21e siècle. Chic et décontractée. Une halte heureuse, à mi-chemin entre le luxe et l’authentique.




CONTRE

L’auberge basque: Vain sur vain.

Déçu. On m’avait pourtant vanté les mérites de l’Auberge Basque à grand renforts de magazines gastronomiques. Qu’est-ce qui n’a pas marché? Cherchons.

La déco? Pourtant, des photos de troupeaux de moutons en noir et blanc, y’en a dans toutes les chambres. Alors qu’est-ce que j’ai, moi? Je m’approche de la photo. Non non, tout est très bien, les photos sont jolies, les bérets sont là…ça y est! C’est mon curé chez IKEA! L’authentique est toc! Décor Pier Import estampillé terroir. Voilà.

Car toute médaille à son revers. Et celle qui tinte au col des moutons en troupeaux qui ornent les murs de ma chambre confortable et minuscule avec deux ampoules sur trois qui fonctionnent, celle qui tinte, la médaille, a le cruel revers de l’inauthentique.

Et nous retrouvons cela dans la cuisine qui nous est proposée. Une cuisine de dressage. Peu de choses sont cuisinées à la minute. Le chef, école Ducasse, se contente principalement d’assembler - ou de faire assembler - sur les assiettes des préparations élaborées plus tôt.

Cuisine, déco, même combat. Cédric Béchade a au moins le mérite de la cohérence. Tout est concept, mais rien n’est âme. Tout est de bon goût, mais rien n’a de goût. Le monde, ici, est taupe et insipide. Comme ma chambre. Où le ménage n’est pas fait dans les coins. Car malheureusement, un centimètre d’espace entre mon matelas et le cadre du lit en dit long sur les cheveux idoines de mes prédécesseurs blonds et bruns.




Retour en cuisine.
Le chef est un organisateur. Mais un créateur?
Le chef est une gravure de mode qui ce soir fait - un peu - la gueule. Pourquoi?
Le chef s’ennuie? Au moins est-il un peu en osmose avec nous.

Oui, c’est plutôt bon. Mais à ce prix-là, c’est normal.

Encore une fois, une cuisine de dressage. Avec ce sempiternel défaut des aliments qui sont déclinés, répétés, sans vraiment de pensée qui les soutiennent. En apéritif, des tuiles de boudin noir. Très bon. Que l ‘on retrouve plus tard accompagnant un plat de cochon ( un peu sec ). En amuse-bouche: une préparation servie dans un pot de yaourt, vraiment délicieuse, à base de foie gras, de betterave et de vinaigre. En entrée, un touron de foie gras, avec des allumettes de betterave. C’est bon, mais l’association foie-gras/betterave, ça fait 2 fois. C‘est bien fait, même si on aurait préféré un menu dégustation réellement « pensé » par un chef avec un propos, et pas des plats au petit bonheur la chance en fonction des invendus de la carte. La gelée de vinaigre de mangue qui accompagne le rouget ( un peu caoutchouteux ) est trop acide, les cuissons sont à plusieurs reprises approximatives, les plats manquent d’allant, de spontanéité, de vie.

Le service est à l’avenant. Pourtant ça commence bien. On se laisse bluffer. Un sommelier très pro, très aimable, avec cette distance juste qui qualifie les tables menées au cordeau. Impressionnant.

Ça finit moins bien. Le sommelier disparu, un serveur peu expérimenté envoie quelques coups de rhum en spray sur une omelette norvégienne au chocolat et le fait flamber; ça fait son impression. Sauf que le jeune homme disparaît illico dans les cuisines, à côté desquelles nous sommes assis, et adresse à ses collègues un : « ah t’en voulais du rhum des Antilles, t’en as eu! » que nous entendons malgré nos efforts certains pour l’ignorer. Evidemment, ça tue un peu le charme.




Comme la cuisine ouverte, qui au début du service nous impressionne par son organisation zen, son ballet spectaculairement maîtrisé, et qui nous laisse un peu déboussolés quand vers 22h15, tout le monde remballe à grands bruits de casseroles empilées, parce qu’en gros, soyons clairs: c’est fini. A 22h40, nous sommes les derniers, et l’absence de personnel pour nous renseigner nous fait clairement comprendre qu’il est temps de regagner notre chambre.

Nous nous levons, et disons au revoir au jeune serveur sus-mentionné qui boit un verre de vin dans la cuisine ouverte. Il ne daigne pas répondre, lève nonchalamment la main vers nous.

Plus tôt, nous avons vu une serviette tombée sur le sol être replacée sans hésitation sur la chaise d’un client s‘étant absenté.

Nous espérons qu’il n’est jamais revenu.

Demain, l'Espagne!

10.12.2009

Tout un programme!




Je juge un restaurant sur son pain et son café, nous disait fort gracieusement Burt Lancaster, qui n'est d'évidence pas passé à la postérité pour ses talents de critique gastronomique. Et nous? Même si la remarque de Burt (dont le prénom invite moins à la dégustation qu'au rototo) n'est pas totalement dénuée d'intérêt, jugerons-nous les tables auxquelles nous nous asseyons à l'aune de simples considérations espresso-boulangères?
Que nenni! D'ailleurs nous ne jugerons pas, le sot métier! Nous goûterons, humerons, palperons, écouterons et tâcherons d'entendre résonner l'âme de ce qui nous est donné à voir, manger, sentir et partager.


Nous pousserons la porte des plus grands restaurants gastronomiques comme celle des plus humbles tavernes. Nous donnerons aussi la parole aux chefs qui sont des artisans et aux cuisiniers qui sont des artistes. Nous irons à la rencontre du vivant et de la tradition, du révolutionnaire à table, de la cuisine qui respire, qui bouge, qui explose, qui ravit.
En bref, nous vous parlerons plus souvent de Nuno Mendes que de Paul Bocuse, davantage du Celler de Can Roca que de la Tour d'Argent, et rarement de Thomas Keller, chez qui nous fîmes un des repas les plus désagréables, coûteux et ratés de notre vie (Per Se, New York, 2008).


Mais nous écouterons aussi Marcel Achard quand il nous dit que la vieillesse, c'est quand on va dans des restaurants où il y a des sommeliers, et non plus dans ceux où il y a des serveuses, et partirons à la découverte d'une cuisine humaine, vibrante, sincère, qui longtemps suffoqua sous les habits guindés devenus oripeaux de la gastronomie à la française, à présent moribonde.


Voilà le programme: du goût, de la vie, du mouvement, de l'espoir, des éclaboussures de génie, des bouillons d'authenticité, et bien sûr, des serveuses!

Premiers rendez-vous en Espagne, dans quelques jours!

Mucho gusto!