9.22.2010
La Gazzetta: la médaille et son revers
Paradoxale Gazzetta. Que d’impressions contrastées et de souvenirs inégaux dans le restaurant de Peter Nilsson, où nous dînames une demi-douzaine de fois en deux ans. Ce fut parfois très bon. Analyse en cinq points:
- Le décor accueille avec exactitude le propos du chef: une cuisine gastronomique, sans les lourdeurs - ni les prix - des « grandes tables« . Revers de la médaille: bruyant. Mais on adore le bar.
- La cuisine: quelques plats grandioses ( si vous voyez passer la fameuse pâte de boudin noir, précipitez-vous ), des jolis légumes et toujours de très beaux jus et bouillons. C’est souvent goûtu, toujours léger. Revers de la médaille: cuissons trop souvent approximatives ( les asperges: bien croquantes, oui, quasiment crues, non! ), températures hasardeuses et manque parfois de gourmandise. C’est un des risques du minimalisme: avec ces assiettes épurées, au cordeau, sur le produit, on ne peut pas tricher. On voit tout de suite quand le chef est à côté de la plaque.
- Le service: professionnel et efficace. Revers de la médaille: On a rarement vu un personnel si peu enclin à faire partager au client la cuisine d’un chef. A la Gazzetta, on fait son boulot avec dynamisme, mais sans une once de passion ou d’empathie. On ne vous regarde jamais dans les yeux, on est déjà ailleurs. A ce point-là, c’en est troublant. L’impression qu’on n’arrivera jamais à entendre un mot sortir de la bouche des serveurs mutiques et pressés. Exception faite du sympathique barman.
- Les vins: courte mais honorable sélection de vins méditerranéens. Revers de la médaille: sélection peu adaptée à la cuisine du chef, aux influences nordiques. C’est surtout marquant pour les vins blancs, dans lesquels on a du mal à trouver la fraîcheur et la minéralité souhaitables avec les plats proposés.
- Les prix: menu 5 plats à 38€, 7 plats à 50€, vraiment pas cher si l’on considère la qualité de l’assiette. Revers de la médaille: pas de choix. Ce qui n’est pas forcément trop grave quand on a affaire à un menu comme celui de cette semaine ( les plats marqués d‘une astérisque s‘ajoutent aux autres pour composer le menu à 7 plats ):
Soupe froide de courgettes, pizza bianca d’algues et salicornes
Merlu de ligne et haricots, aneth et huile d’olive
Nouvelles P.D.T. de Noirmoutier, miettes de lait et pain, truffe blanche d’été
(*) Homard Breton et feuilles, amandes fraîches
Agneau et oignons rouges, coeur et chou
(*) Burrata et Chioggia brûlé, petit- lait et estragon
Semi freddo de citron et pistou, melon de Cavaillon
Cerises confites et génoise chocolat
Résultat des courses: sur six repas, nous sommes ressortis une fois emballés, une fois déçus, et quatre fois avec un sentiment mi-figue mi-raisin. Mais au final, on y retourne. Ça ne peut donc pas être si mauvais que ça.
8.10.2010
L'espoir Décoret
Il y a quelques années, nous étions allés dîner plusieurs fois chez Jacques Décoret, à Vichy. C’était dans son ancien établissement, jouxtant la gare, entre deux échoppes suintant le kebab. Quartier et déco pas folichons, service manquant d’expérience, mais une vraie sincérité, et surtout, l’assiette! Ludique, fiévreuse, époustouflante! Nous avions opté pour le grand menu dégustation. Le chef y tutoyait le génie à la fois dans l’invention loufoque - rail de tomate pétillant qu’on absorbe à la paille, ou « plateau télé » en guise d’amuse-bouche, dans la virtuosité technique - escargots en coque de pain, ou une huître déstructurée qui éclatait en bouche, et dans l’explosion des saveurs - Foie gras poché dans un bouillon de Bonite, dynamite de pommes de terre. C’était beau, bon, jouissif. Tellement exceptionnel que nous décidâmes de renouveler l’expérience le lendemain soir. C’était un samedi, mais il restait de la place. Curieusement, ce restaurant merveilleux ne jouait pas à guichets fermés. Une seule étoile au Guide Michelin ne suffisait pas à remplir la petite salle au décor de cafetaria. Peut-être n’était-elle pas au goût des notables vichyssois, sans doute lui préféraient-ils quelque adresse ronronnante repue de gibiers en sauce et de fauteuils moelleux? Toujours est-il que nous revoici attablés, prêts à repartir pour le grand voyage.
Nous commandons le même menu, trop heureux de renouveler l’expérience. Madame Décoret - la femme du chef se prénomme Martine - nous propose de la part de son garnement de mari un menu surprise, différent. Ce menu-là fut peut-être encore plus épatant que le premier, piochant ça et là dans la carte et quelques inédits, tout aussi beau, fou et bon. Nous quittions ce restaurant les larmes aux yeux. L’année suivante, nous y sommes retournés, avec le même bonheur. Jacques Décoret avait été nommé dans la catégorie « espoirs » du guide rouge, et tout cela sentait bon les deux macarons…mais ce lieu! On nous annonça un déménagement imminent pour une belle demeure sur le parc. Ce changement prit des années. Depuis quelques mois, la maison Décoret a rouvert dans un espace digne de ses prétentions, après avoir lutté contre tous, la mairie, les riverains, l’architecte des bâtiments de France - c’est que la famille Décoret souhaitait un bel endroit, dans le classicisme d’une belle demeure traditionnelle, agrémentée d’un touche progressiste, qu’incarne la superbe verrière qu’ils ont fait concevoir. Cette même verrière qui n’est pas du goût des vichyssois, qui mirent tous les bâtons qui purent leur tomber sous la main dans les roues de la petite entreprise familiale. Et pendant ce temps, Jacques restait »espoir ». Alors que Michelin jurait qu’on ne pouvait le demeurer plus d’une courte période.
Aujourd’hui, la Maison Décoret vaut indiscutablement ses deux macarons. Certains plats en mériteraient trois. Nous y avons déjeûné en revenant de chez Michel Troisgros, il y a quelques semaines. C’est un lieu superbe, avec un personnel hautement qualifié, une cave à vins superbement fournie - ce qui n’était pas le cas de l’ancienne adresse. Et une cuisine de haute volée, avec notamment des desserts un cran au-dessus du maître de Roanne. Tout est parfait. Mais voilà, l’enfant qui riait dans toutes ces assiettes s’est éteint peu à peu. La cuisine a encore gagné en maîtrise, mais un peu perdu en folie. L’ensemble de la prestation nous a paru un rien convenue, par trop conventionnelle.
Après le service, nous avons parlé quelques instants avec le grand Jacques Décoret, qui a désormais les cheveux poivre et sel. Il nous a confié, des larmes dans les yeux, son histoire bouleversante. Emus, nous avons remercié un homme fier, un rien brisé. Qui ne peut plus s’amuser. Trop de pression financière peut-être, trop d’incompréhension surtout. Pendant des années, on a reproché à Jacques Décoret trop de désinvolture, trop de pirouettes, trop de maestria. En un mot, trop d’originalité. Pendant des années, ce cuisinier de génie s’est essoufflé à inventer des fulgurances pour des amateurs de foie gras en terrine et de viandes en sauce. A faire du Picasso pour le public de Disney. A être Rimbaud quand la foule acclamait Marc Levy.
Jacques s’est assagi. Mais rien n’a changé. Le guide Michelin lui accorde toujours une seule étoile, et n’est même plus « espoir ». Les deux macarons semblent s’éloigner. En partant de la maison, un mot de Martine Décoret: « Ils ont tué sa fantaisie ».
Nous n’aimons pas la toute puissance du Michelin, son droit quasi féodal de vie ou de mort sur un restaurant. Nous n’aimons pas voir le génie se tarir sous nos yeux. Nous ne voudrions pas que ce qu’il reste de gaieté chez Jacques Décoret s’épuise devant la frilosité et l’ingratitude du public et des marchands.
Lorsqu’Olivier Roellinger a obtenu sa troisième étoile, méritée des années durant, l’envie de cuisiner pour ses clients s’était envolée. Quand Bernard Loiseau est mort, les critiques ont botté en touche. Michelin, le premier. Comme s’il ne pouvait y avoir aucun lien de cause à effet entre ce qu’écrit le petit livre rouge et ce qui se passe dans les salles et les cuisines des restaurants. Nous espérons que les guides reviendront à Vichy, récompenser cette superbe adressse, avant que Jacques Décoret ne décide lui aussi de rejoindre d’autres étoiles.
Nous souhaitons qu’il reste assez de contrepouvoirs, de générosité et d’espoir en ce petit monde cruel de la gastronomie française pour rendre à Jacques Décoret son âme d’enfant.
8.04.2010
Claude Colliot: le travail bien fait
Sans bavure. C’est la première idée qui nous vient. Imparable. Précis. Au cordeau. Goûteux. Tout ça pour 2 entrées, deux plats, un dessert, et 54€. Ça s’appelle « Restaurant Claude Colliot » du nom du chef, ex-Bamboche, ex Orénoc, dont nous avions entendu maintes fois vanter les qualités.
Passons immédiatement sur la seule bévue de la soirée, que nous appellerons sobrement: carte des vins. Mon dieu qu’elle est triste, cette cave! D’aucuns se sont exténués avant nous à chercher une once de joie dans ces flacons figés, vieillots, inconnus au bataillon, trop chers, voire épuisés. Rien ou presque à se mettre sous le nez, à faire tourner dans son verre, à siroter en rêvant d’un monde meilleur. Complètement à côté.
C’est d’autant plus rageant que l’assiette est bigrement juste. En entrée, burrata. Ce n’est pas de la cuisine, juste un produit, un enfant de 5 ans pourrait dresser ce plat. Le fromage, un quartier de tomate, trois pistaches, deux olives. Alors ce n’est peut-être pas ce qu’on attend d’un grand chef, mais le fromage est un tel délice et constitue une si belle entrée en matière estivale qu’on oublie nos griefs. Ensuite: du veau, cru, mariné minute au piment et à l’huile d’Argan, condiment nectarine. C’est franchement très bon, très relevé, mais nous aimons. Puis une raie fondissimante (sic!), avec de minuscules et délicieuses girolles, condiment citron, condiment courgette-menthe. C’est parfait. Le citron, amertume confite, accompagne à merveille le plat. La menthe est moins heureuse avec les girolles, mais c’est un détail. Le jus de champignons qui irrigue les nervures du poisson est un bonheur. C’est simple, avec le vrai goût des bonnes choses. Ensuite: Canard de Challans, navets croquants, condiment pamplemousse. La viande est superbe, avec un parfum de feu de bois, les navets, cuisson limite, sont délicieux, le pamplemousse donne un soupçon de nervosité à l’ensemble. C’est tendu, lisible, et très réussi. En dessert, deux quenelles: compotée de fenouil pour l’une, glace au fromage blanc pour l’autre. C’est exactement le type de dessert qu’on espère à la fin d’une dégustation d'été. Le fenouil est confit à souhait, la glace n’est pas sucrée, ce qui contraste superbement. Il y a dans ce dessert une invitation au voyage et à la sérénité, des notes invisibles de fleur d’oranger, de miel, de safran. Encore une fois, c’est superbe.
L’ambiance du restaurant touche juste, épurée mais chic, joyeuse et élégante, délicate et sexy. Le service tout féminin est d’une gentillesse confondante. Et l’on peut même, en sortant, marcher jusqu’aux Enfants Rouges tout proches, afin de déboucher - enfin! - une bouteille digne de ce nom.
Elle est pas belle, la vie?
7.18.2010
Itinéraires: tiède
Voilà ce qui arrive quand on attend longtemps, quand on écoute la rumeur, quand on espère tant d’une adresse au demeurant très honorable: on est un peu déçu!
A l’origine, il y eut « Le temps au temps », où nous n’avons jamais mis les pieds. Et pourtant, Dieu sait si Paris bruissa du murmure étourdissant de la dithyrambe envers Sylvain Sendra, jeune chef des lieux.
Autre temps, autre mœurs: le presque aussi jeune Sylvain s’embourgeoise en s’installant rue de Pontoise, à quelques pas de la Seine, de la Tour d’Argent, de la cathédrale et de portefeuilles mieux garnis que du côté de Faidherbe Chaligny. Cette fois, nous y allons.
La salle est sobre et moderne, un peu bruyante car bondée, les tables serrées, et la minuscule terrasse est exquise, calme et sereine. L’accueil est parfait, le service adorable et pro, les prix sourient ( menu carte à 36€ ) et la carte des vins est une splendeur abordable.
Dans l’assiette, beaux produits ( petites girolles au top, légumes de chez Joël Thiébaut, viandes de qualité ), dignes d’une vraie grande table. C’est varié, avec un soupçon de créativité, les cuissons sont impeccables, les desserts parfaits. Alors qu’est-ce qui manque? D’abord, tout ce qu’on nous annonçait et que l’on espérait plus haut: l’invention, la folie, la perfection, du jamais-vu, un pincement au cœur, la révélation, l’inoubliable.
Et ensuite: la maîtrise des températures - tout, absolument tout nous fut servi tiède, la polenta aux girolles de l’entrée, le cabillaud, le râble de lapin, la purée…malgré les 27 degrés ambiants! Le goût parfois, qui tombe à côté: polenta au parmesan/girolles en entrée, trop dosée en fromage (dedans et dessus) qui relègue ces magnifiques champignons à une simple fonction de texture. Autre entrée, légumes de saison/émulsion au lard: pas mauvais, mais les fines lamelles de légumes taillées à la mandoline - à l’avance, alors que l’idée même du plat demanderait une coupe minute - se révèlent un peu desséchés, un peu maussades, un peu mornes, et l’émulsion bien que délicieuse, rate l’échange et se liquéfie trop tôt. On est loin des plats référents en la matière: gargouillou de légumes de Michel Bras, assiettes maraîchères d’Alain Passard ou de Mauro Colagreco. Et puis le chef abuse du siphon: émulsion de lard, donc, puis purée accompagnant le râble, molle et qui s’affaisse et fige dans l’assiette façon vieil aligot. Pas joli, pas bon. Et re-tiède. Siphon encore pour le sabayon ( qui n’en est pas un, donc ) annoncé "au Champagne" qui condimente le cabillaud: on peine encore à croire qu’il y ait du Champagne là-dedans, tant la saveur saturée d’éthanol nous fit penser à une mauvaise vodka, dommage car le reste de l’assiette a tout bon. Mais un « tout bon » tiédasse.
Alors, que dire en quittant cet instant mitigé ( ou plutôt: "tiède"? ). Sans doute retournerons-nous essayer la carte de Sylvain Sendra, avec un peu moins d’espoir au cœur et un peu plus de peur au ventre, pour donner une vraie deuxième chance à cette maison honnête, qui la mérite certainement. Il faut dire que les desserts nous ont remis d’aplomb, comme cette superbe tartelette aux abricots, limpide, gourmande à souhait dans sa simplicité. Et tiède, comme il se doit.
7.12.2010
Les Enfants Rouges: la vie est un miracle
J’aimerais vous parler de cette adresse autant que je l’aime. Vous écrire combien elle compte précieusement pour moi. Ce sera difficile, car c’est une affaire de cœur. Exclusive. Personnelle. Incessible. Comme la plupart des affaires de cœur - si l’on exclut le témoignage insolent de quelques vaillants polygames.
J’aimerais que vous puissiez toucher du doigt ce qui émane d’un lieu comme celui-là. Mais c’est insaisissable, comme la vie. Parce qu’un soir, si vous veniez en fin de service, vous pourriez trouver des couples enlacés dansant sur les tubes de Dalida dans une salle tamisée, un autre soir, vous tomberiez sur une joyeuse bande de grands vignerons en goguette, entassés au bar, ou sur une salle au coude à coude levé, avec un trompettiste qui règle la circulation des plats au milieu du vacarme, ou encore, un soir de calme entre tempêtes, vous auriez la chance d’être exceptionnellement invité à vous asseoir à l’unique table extérieure, dans la courette charmante et silencieuse, un beau soir d’été, à l’abri des rumeurs de la ville moite, pour partager avec une compagnie soigneusement choisie cette intimité miraculeuse qui n’existe que dans certains lieux publics.
J’aimerais aussi que vous puissiez un jour comprendre comment Dany, la rayonnante et tonique hôtesse des lieux, insuffle à ce qui pourrait n’être qu’un banal restaurant de quartier de plus, une poésie merveilleuse, un caractère incomparable, et lui donne son âme. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: de bienveillance, de disponibilité, de sensualité. Ce qui fait d’une adresse un miracle. Lorsque vous poussez la porte des Enfants Rouges, vous devenez très vite autre chose qu’un client: un ami, un habitué. Comme un membre de la famille. Sauf si Dany ne vous apprécie pas. Mais en ce cas, il ne faudra vous en prendre qu’à vous-même, pour être passé à côté de l’humanité qui vous tendait les bras.
J’aimerais aussi que vous soyez content de la cuisine. J’y ai tellement mangé que je ne pourrais être seulement dithyrambique. Ce serait tricher. Bien sûr qu’il y a eu ça et là des ratés. Retenez la terrine d’Anton, sympathique chef, et sa confiture d’oignons. Retenez un pigeon mémorable. Retenez le paleron confit au vin rouge. Les belles frites maison. Le riz au lait. Ne vous compliquez pas trop la vie et les choses devraient glisser, d’autant que l’exception est ailleurs. Exactement un étage plus bas.
J’aimerais que vous regardiez ce livre de cave. Et que vous sanglotiez d’émotion. Sans aucun doute, une des plus belles collection de flacons de la vallée du Rhône de la capitale. A des prix tout doux. Et, dans toutes les régions, l’expertise de Dany. Pas une faute de goût, pas un bémol, en un mot: l’élégance. J’ai goûté d’innombrables vins conseillés par Dany, parce que je lui fais confiance, parce qu’elle est vraie, parce que je l’aime. Parce que ses pas sont guidés par la passion. Pas un seul mauvais flacon. Jamais. Aucun. Néant. Ici, que vous buviez une petite ou une grande cuvée, vous serez comblé, accompagné dans le velours des tanins ou dans la minéralité des caudalies. Blotti. Rasséréné. Conquis. Tout simplement heureux. Et vous comprendrez que le vin, comme la vie, est un miracle.
7.10.2010
Hanoi: Le prodige « Madame Hien »
Je sors tout simplement de l’un des plus beaux restaurants du monde. Et c’est irracontable. A l’impossible nul n’étant tenu, je ne vais pas vous raconter. Suggérer, seulement.
Le vie est faite de hasards. Les déceptions les plus crues surgissent alors que l’horizon dégagé nous laissait confiants. Les surprises jaillissent de même, comme des diablotins légers hors de leur boîte dans le tumulte environnant.
Nous étions à Hanoi depuis bientôt 48h, à l’issue de trois semaines de périple au Vietnam. Et la ville était crispée, bruyante, arrogante. Les sourires moins offerts. L’urgence prégnante. Nous avions goûté à la cuisine des rues, la peur au ventre. Et à la gastronomie pour expatriés, la crainte au portefeuille.
Hanoi. Ville encore mystérieuse, dont nous rendrons mieux compte à la fin du voyage. Pour le moment, nous avons mangé dans le nouveau restaurant pensé par Didier Corlou, expert es Vietnam et chef patron de la Verticale, où nous déjeunâmes mi-pho mi-raisin. Nous y avons dégusté une cuisine sans grande pertinence, mais sans égratignure notable. Didier Corlou donc, chef façon manager et non artisan, comme on en voit hélas de plus en plus. Ami d’Olivier Roellinger, dont il partage l’amour et l’expertise des épices rares et subtiles. Marié à une vietnamienne. Dont la grand-mère se nomme « Hien ».
En hommage à cette ascendance - et mû par un opportunisme intelligent - Maître Corlou a investi voici quatre mois les murs de l’ancienne ambassade d’Espagne, avec un restaurant de spécialités vietnamiennes traditionnelles bigrement maîtrisées. A des prix raisonnables pour Hanoi. Et là, c’est bluffant. Le chef connaît son sujet sur le bout des doigts et de la langue!
Là où nous attendions les mêmes tâtonnements et approximations que dans le vaisseau amiral ( et gastronomique, La Verticale ), nous découvrons une cuisine mieux que réussie, inspirée de la vraie tradition des rues vietnamiennes, superbement réalisée, l’hygiène en plus, servie tout sourire dans un écrin où pas le moindre détail ne cloche. Beau chercher, vois pas. Le décor d’inspiration coloniale colle avec le quartier en pleine mutation - hôtels raffinés côtoyant braseros de fortune et cohue de gastronomes accroupis sur le trottoir - chic sans ostentation, le ton est parfait, le lieu immense et chargé d’âme, fruit d’une vraie réflexion doublée d’un amour et d’une expertise véritables pour ce qu’est la cuisine vietnamienne. Pour découvrir cet univers de saveurs, de formes, de couleurs, de parfums, d’herbes fraîches, de brochettes, de papiers de riz croustillants et de tofu fondants en une seule palette exquise, « Madame Hien » est le nec plus ultra. Bien sûr, que cela ne vous empêche pas de traîner vos guêtres dans les rues, à la recherche d’une expérience plus sauvage, brute, aléatoire. Mais ne manquez pas de venir passer une heure de félicité dans cet endroit magique chargé de deux histoires, la petite, celle d’une famille, que l’on découvre comme par le trou de serrure d‘une porte de la cuisine, et la grande, celle d’un pays d’une telle cohérence et d’une telle variété, qu’on pourrait le nommer "un monde".
C’est aujourd’hui qu’il faut foncer chez Madame Hien, car nous savons que ce genre d’expérience est par essence éphémère, car oui, le succès viendra, et l’on ne servira plus vingt couverts comme ce soir magique de mai, mais cent cinquante - capacité plausible du lieu - et le service n’aura plus cette même disponibilité ni cette même candeur, car oui, le succès viendra, et l’on ne comptera plus le nombre de groupes qui franchiront le somptueux portail pour venir souiller des mémoires à coups de dollars alléchants, car oui, le succès viendra avec son indissociable inflation , et le génial assortiment d’entrées traditionnelles - un repas complet, tout délices - passera de six à douze ou vingt euros, car oui, le succès viendra, et l’âme, comme souvent, et comme toujours lorsqu’un espace en a la capacité, se verra peu à peu absorbée dans le néant sidéral.
Nous verrons bien si Madame Hien, dont l’âme semble vibrer au-delà du concept, saura survivre au succès annoncé. Mais j’en doute.
5.30.2010
Venise: Erratum
Pourquoi diantre ai-je rebaptisé, dans un récent article sur Venise, "Anice Stellato", sympathique table nichée dans un coin magique de Cannaregio, "Stella Maris"? Allez savoir. L'anis étoilé m'aura monté à la tête. Pour la peine, et parce qu'on n'est pas chien - et enfin, afin d'éviter tout malentendu avec Tateru Yoshino ( chef-patron du Stella Maris, à deux foulées des Champs Elysées, table tout aussi parfaite qu'ennuyeuse à souhait - si, si, c'est possible, et encore ça m'embêtait d'écrire "chiante à mourir" ), je vous donne le téléphone où il faut réserver puis l'adresse où se rendre: 041.720744 - Fondamenta de la Sensa. Cela s'appelle bien "Anice Stellato" Vous trouverez facilement. Et si vous vous égarez, c'est encore mieux.
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