11.12.2009

Arzak: le grand écart


Le restaurant triplement étoilé de Juan Maria Arzak nous fut une énigme mâtinée d’instants de joie. Car en effet, que dire d’un établissement qui fait si étonnament le grand écart entre application et désinvolture? Et entre l’hyperclassique et l‘expérimental?






Service inégal: accueil façon taverne palermitaine - on a vraiment l’air si louches que ça? - puis présentation du menu style grande maison, et en français s’il vous plaît. Amabilité, efficacité, conseils avisés.
Carte des vins superbe, exhaustive, notamment en crus d’Espagne. Nous demandons, en espagnol, au sommelier de nous suggérer une belle bouteille. Il pointe aussitôt le doigt vers un Albarino du Rias Baixas, et ponctue son geste d’un laconique: « ça, c’est bon ». Devant une telle autorité bourrue, on ose à peine lui demander quelques détails sur le vin, on va se risquer, mais le bougre nous a déjà claqué la carte au visage, pour foncer chercher ledit flacon, en traversant à grandes enjambées la salle encore clairsemée, moulé dans son petit tablier de cuir tendance jupette de centurion SM - oui c’est assez étrange, j’en conviens. Un peu comme si Jean-Paul Gaultier relookait les serveurs de l’ambassade d’Auvergne.
Un peu plus tard, le même individu nous assènera un gaillard coup dans le dos, en nous lâchant dans un sourire débonnaire: « Alors, t’as vu, c’est bon, hein? ». Ça tranche avec les manières grand style du directeur de salle, mais l’ensemble est encore une fois moins odieux que déconcertant.





Pareil dans l’assiette, quelques plats éblouissants, comme ces bouchées de figue au foie gras, rien moins qu’exceptionnelles sur une association pourtant rebattue, ou cette ventrèche de thon blanc inoubliable qui mériterait à elle seule le voyage depuis Compostelle. Mais aussi quelques propositions ennuyeuses, comme un merlu bien morne, que nous avons préféré renvoyer.
Difficile, de fait, d’appréhender l’univers d’Arzak, qui passe d’un plat de viande très traditionnel à un dessert on ne peut plus avant-gardiste. C'est curieux, cette sauce lourdingue sur un poisson - limite cafeteria hormis la cuisson, parfaite - suivie d’une assiette constellées de sphérifications selon les techniques de Ferran Adria.
C’est le plus souvent dans la tradition, à peine réinterprétée, que la cuisine d’Arzak se révèle délicieuse de justesse. Le goût est là, dans toute sa plénitude et sa gourmandise. Quand le chef s’égare dans les chemins risqués de la cuisine moléculaire, il ne convainc pas. Curieusement, les sphères de petit pois ou les oignons frits dorés à la poudre de bronze sont fades ou démodés.





Se dégage de l’expérience une sensation d’incohérence, au mieux de flou artistique. La cuisine, où nous avons jeté un œil, est à l’avenant: un foutoir considérable, mais très vivant, familial et vibrant. Sauf la chef pâtissière qui rappelle Kathy Bates dans Misery, en toutefois moins avenante(sic).
Et puis il y a le chef . Ou plutôt, les chefs, Juan Maria étant depuis longtemps déjà secondé par sa fille Elena. Lui nous fait l’impression d’une vraie sincérité, et penche plutôt du côté de l’aubergiste facétieux que du chef étoilé qui se pose trop de questions. Une bonhomie qui rattrape les rares fourvoiements d’un repas somme toute vraiment réussi. Car à défaut de génie, Juan Maria Arzak a du talent pour deux.



Sur les photos, par ordre d'apparition:
Filet de merlu
Biscuit spongieux de yaourt
Une salade d'herbes et de jeunes pousses
Oignons frits et bronze pulvérisé
Figues à l'huile de foie gras
ventrèche de thon blanc

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