2.12.2010

10 ans déjà: lettre à Alain Passard


Paris, le 26 avril 2000

Monsieur,

Je me permets de vous écrire suite à un déjeuner effectué dans votre restaurant le 4 avril dernier (vous trouverez en annexe l’addition dont il s’agit).
Je confesse qu’alléché par les propos séduisants que vous tenez dans le magazine Palais , dont vous êtes le rédacteur en chef en ce printemps 2000, j’ai cédé à l’envie de goûter votre cuisine.
Comme lu partout, et supposé par moi, tout - ou presque - dans ce menu déjeuner fut parfait ( à l’exception d’un mille-feuilles peu inspiré et...tout sec), je ne reviendrai donc pas, par crainte du pléonasme, sur l’éloge évident que votre talent mérite.
De même que je ne trouverais pas à redire sur le service attentif et précis (sans être froid ni figé comme dans de nombreuses grandes tables), ni sur le lieu (il est si rare de rencontrer dans un décor moderne cette sobre élégance, en un mot ce goût) qui nous ont accompagnés à table.
En revanche, que penser d’un menu annoncé dans un magazine trimestriel à 390 Francs, et facturé 490 Francs, un mois seulement après la parution dudit magazine ? Que dire du fait que ce menu et son nouveau prix ne figurent pas sur la carte à l’extérieur du restaurant ? Comment nier que la reproduction intégrale de la carte de l’Arpège, associée à la dithyrambe vous concernant dans Palais, puisse - et cherche à - séduire une clientèle supplémentaire, et que cette clientèle est sciemment induite en erreur ?
Vous m’objecterez sans doute que le menu à été modifié. Je vous répondrait que je n’ai pas constaté que son nouveau contenu ait un nouveau coût ( à moins d’une inflation soudaine et galopante du cours de l’oeuf ou de l’oignon, qui m’aurait échappée? ). Et ceci me semble, après vérification, valoir pour tous les produits figurant sur votre menu. Je vous dirai aussi qu’il est fort désagréable de se sentir ainsi pris au piège, car vous savez comme moi que lorsqu’on a réservé un repas très à l’avance, on en a rêvé et l’on fait tout pour que ce moment rêvé devienne un moment réel, donc on ne se relève pas de table pour s’en aller après avoir vu la carte. Et l’on s’en pose encore moins la question lorsqu’on est, comme je le fus, accompagné d’une dame.
Malheureusement, nous n’étions pas encore au bout de nos déconvenues. Le coup de grâce arriva avec la lecture de votre carte des vins.
Je me rappelai alors la réflexion d’un de mes amis sommeliers qui s’était brouillé avec un grand chef, en partie parce que celui-là appliquait au prix des bouteilles des coefficients multiplicateurs exagérés. On parlait alors, sur des bouteilles peu coûteuses, de coefficient 6-7, très exceptionnellement 8 ( mais sur le hors taxe, bien sûr). J’ai béni le ciel que cet ami n’ait pas vu votre livre de cave. Quelques exemples ? Deux petits prix (sic), donc parmi les bouteilles que vous vendez 500 Francs, les moins chères : L’Ebrescade, Cairanne de chez Marcel Richaud, que j’achète bêtement chez mon caviste à...58 Francs ; Le Clos de la Truffière, Domaine du Deffends, le coteaux Varois rouge de J.S. de Lanversin, que je me fais expédier à...45 Francs la bouteille. Cela nous fait donc un coefficient multiplicateur de 8,6 et un autre de plus de 11, sur le prix public TTC!!! Pour ma part, on m’a recommandé un Côtes de Bergerac, le chateau Tourmentine, que je ne connaissais pas, et sur lequel, par décence, je n’oserai pas révéler la marge que vous dégagez ( en vendant également cette bouteille 500 Francs ! ). Vous comptez donc vraisemblablement sur la méconnaissance de vos clients en matière de vins pour oser ce genre de miracles.
Comprenez enfin qu’il ne s’agit pas d’une simple question d’argent. Le plaisir n’a pas de prix, dit-on. Je ne m’égarerai donc plus à le chercher chez vous. Je tacherai d’oublier ce qui apparaît comme un triste abus, de surcroît cynique.
J’aurais laissé par plaisir bien plus que vous n’avez su me soutirer par ruse. Et j’aurais emporté davantage que votre image ternie et le souvenir éternel de vos sombres calculs.
Une chose est sûre, Monsieur Passard, vous êtes sans doute un grand cuisinier, mais vous n’êtes pas un honnête homme.

3 commentaires:

  1. quelle a été sa réponse? (s'il y en a eu une)

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  2. ce menu à 390-490 francs doit être à plus de 200€ le soir, l'inflation ne s'arrête jamais!

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  3. je viens de publier la suite de l'histoire...
    le menu du soir est je pense à 330€ à présent...

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