7.18.2010
Itinéraires: tiède
Voilà ce qui arrive quand on attend longtemps, quand on écoute la rumeur, quand on espère tant d’une adresse au demeurant très honorable: on est un peu déçu!
A l’origine, il y eut « Le temps au temps », où nous n’avons jamais mis les pieds. Et pourtant, Dieu sait si Paris bruissa du murmure étourdissant de la dithyrambe envers Sylvain Sendra, jeune chef des lieux.
Autre temps, autre mœurs: le presque aussi jeune Sylvain s’embourgeoise en s’installant rue de Pontoise, à quelques pas de la Seine, de la Tour d’Argent, de la cathédrale et de portefeuilles mieux garnis que du côté de Faidherbe Chaligny. Cette fois, nous y allons.
La salle est sobre et moderne, un peu bruyante car bondée, les tables serrées, et la minuscule terrasse est exquise, calme et sereine. L’accueil est parfait, le service adorable et pro, les prix sourient ( menu carte à 36€ ) et la carte des vins est une splendeur abordable.
Dans l’assiette, beaux produits ( petites girolles au top, légumes de chez Joël Thiébaut, viandes de qualité ), dignes d’une vraie grande table. C’est varié, avec un soupçon de créativité, les cuissons sont impeccables, les desserts parfaits. Alors qu’est-ce qui manque? D’abord, tout ce qu’on nous annonçait et que l’on espérait plus haut: l’invention, la folie, la perfection, du jamais-vu, un pincement au cœur, la révélation, l’inoubliable.
Et ensuite: la maîtrise des températures - tout, absolument tout nous fut servi tiède, la polenta aux girolles de l’entrée, le cabillaud, le râble de lapin, la purée…malgré les 27 degrés ambiants! Le goût parfois, qui tombe à côté: polenta au parmesan/girolles en entrée, trop dosée en fromage (dedans et dessus) qui relègue ces magnifiques champignons à une simple fonction de texture. Autre entrée, légumes de saison/émulsion au lard: pas mauvais, mais les fines lamelles de légumes taillées à la mandoline - à l’avance, alors que l’idée même du plat demanderait une coupe minute - se révèlent un peu desséchés, un peu maussades, un peu mornes, et l’émulsion bien que délicieuse, rate l’échange et se liquéfie trop tôt. On est loin des plats référents en la matière: gargouillou de légumes de Michel Bras, assiettes maraîchères d’Alain Passard ou de Mauro Colagreco. Et puis le chef abuse du siphon: émulsion de lard, donc, puis purée accompagnant le râble, molle et qui s’affaisse et fige dans l’assiette façon vieil aligot. Pas joli, pas bon. Et re-tiède. Siphon encore pour le sabayon ( qui n’en est pas un, donc ) annoncé "au Champagne" qui condimente le cabillaud: on peine encore à croire qu’il y ait du Champagne là-dedans, tant la saveur saturée d’éthanol nous fit penser à une mauvaise vodka, dommage car le reste de l’assiette a tout bon. Mais un « tout bon » tiédasse.
Alors, que dire en quittant cet instant mitigé ( ou plutôt: "tiède"? ). Sans doute retournerons-nous essayer la carte de Sylvain Sendra, avec un peu moins d’espoir au cœur et un peu plus de peur au ventre, pour donner une vraie deuxième chance à cette maison honnête, qui la mérite certainement. Il faut dire que les desserts nous ont remis d’aplomb, comme cette superbe tartelette aux abricots, limpide, gourmande à souhait dans sa simplicité. Et tiède, comme il se doit.
7.12.2010
Les Enfants Rouges: la vie est un miracle
J’aimerais vous parler de cette adresse autant que je l’aime. Vous écrire combien elle compte précieusement pour moi. Ce sera difficile, car c’est une affaire de cœur. Exclusive. Personnelle. Incessible. Comme la plupart des affaires de cœur - si l’on exclut le témoignage insolent de quelques vaillants polygames.
J’aimerais que vous puissiez toucher du doigt ce qui émane d’un lieu comme celui-là. Mais c’est insaisissable, comme la vie. Parce qu’un soir, si vous veniez en fin de service, vous pourriez trouver des couples enlacés dansant sur les tubes de Dalida dans une salle tamisée, un autre soir, vous tomberiez sur une joyeuse bande de grands vignerons en goguette, entassés au bar, ou sur une salle au coude à coude levé, avec un trompettiste qui règle la circulation des plats au milieu du vacarme, ou encore, un soir de calme entre tempêtes, vous auriez la chance d’être exceptionnellement invité à vous asseoir à l’unique table extérieure, dans la courette charmante et silencieuse, un beau soir d’été, à l’abri des rumeurs de la ville moite, pour partager avec une compagnie soigneusement choisie cette intimité miraculeuse qui n’existe que dans certains lieux publics.
J’aimerais aussi que vous puissiez un jour comprendre comment Dany, la rayonnante et tonique hôtesse des lieux, insuffle à ce qui pourrait n’être qu’un banal restaurant de quartier de plus, une poésie merveilleuse, un caractère incomparable, et lui donne son âme. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: de bienveillance, de disponibilité, de sensualité. Ce qui fait d’une adresse un miracle. Lorsque vous poussez la porte des Enfants Rouges, vous devenez très vite autre chose qu’un client: un ami, un habitué. Comme un membre de la famille. Sauf si Dany ne vous apprécie pas. Mais en ce cas, il ne faudra vous en prendre qu’à vous-même, pour être passé à côté de l’humanité qui vous tendait les bras.
J’aimerais aussi que vous soyez content de la cuisine. J’y ai tellement mangé que je ne pourrais être seulement dithyrambique. Ce serait tricher. Bien sûr qu’il y a eu ça et là des ratés. Retenez la terrine d’Anton, sympathique chef, et sa confiture d’oignons. Retenez un pigeon mémorable. Retenez le paleron confit au vin rouge. Les belles frites maison. Le riz au lait. Ne vous compliquez pas trop la vie et les choses devraient glisser, d’autant que l’exception est ailleurs. Exactement un étage plus bas.
J’aimerais que vous regardiez ce livre de cave. Et que vous sanglotiez d’émotion. Sans aucun doute, une des plus belles collection de flacons de la vallée du Rhône de la capitale. A des prix tout doux. Et, dans toutes les régions, l’expertise de Dany. Pas une faute de goût, pas un bémol, en un mot: l’élégance. J’ai goûté d’innombrables vins conseillés par Dany, parce que je lui fais confiance, parce qu’elle est vraie, parce que je l’aime. Parce que ses pas sont guidés par la passion. Pas un seul mauvais flacon. Jamais. Aucun. Néant. Ici, que vous buviez une petite ou une grande cuvée, vous serez comblé, accompagné dans le velours des tanins ou dans la minéralité des caudalies. Blotti. Rasséréné. Conquis. Tout simplement heureux. Et vous comprendrez que le vin, comme la vie, est un miracle.
7.10.2010
Hanoi: Le prodige « Madame Hien »
Je sors tout simplement de l’un des plus beaux restaurants du monde. Et c’est irracontable. A l’impossible nul n’étant tenu, je ne vais pas vous raconter. Suggérer, seulement.
Le vie est faite de hasards. Les déceptions les plus crues surgissent alors que l’horizon dégagé nous laissait confiants. Les surprises jaillissent de même, comme des diablotins légers hors de leur boîte dans le tumulte environnant.
Nous étions à Hanoi depuis bientôt 48h, à l’issue de trois semaines de périple au Vietnam. Et la ville était crispée, bruyante, arrogante. Les sourires moins offerts. L’urgence prégnante. Nous avions goûté à la cuisine des rues, la peur au ventre. Et à la gastronomie pour expatriés, la crainte au portefeuille.
Hanoi. Ville encore mystérieuse, dont nous rendrons mieux compte à la fin du voyage. Pour le moment, nous avons mangé dans le nouveau restaurant pensé par Didier Corlou, expert es Vietnam et chef patron de la Verticale, où nous déjeunâmes mi-pho mi-raisin. Nous y avons dégusté une cuisine sans grande pertinence, mais sans égratignure notable. Didier Corlou donc, chef façon manager et non artisan, comme on en voit hélas de plus en plus. Ami d’Olivier Roellinger, dont il partage l’amour et l’expertise des épices rares et subtiles. Marié à une vietnamienne. Dont la grand-mère se nomme « Hien ».
En hommage à cette ascendance - et mû par un opportunisme intelligent - Maître Corlou a investi voici quatre mois les murs de l’ancienne ambassade d’Espagne, avec un restaurant de spécialités vietnamiennes traditionnelles bigrement maîtrisées. A des prix raisonnables pour Hanoi. Et là, c’est bluffant. Le chef connaît son sujet sur le bout des doigts et de la langue!
Là où nous attendions les mêmes tâtonnements et approximations que dans le vaisseau amiral ( et gastronomique, La Verticale ), nous découvrons une cuisine mieux que réussie, inspirée de la vraie tradition des rues vietnamiennes, superbement réalisée, l’hygiène en plus, servie tout sourire dans un écrin où pas le moindre détail ne cloche. Beau chercher, vois pas. Le décor d’inspiration coloniale colle avec le quartier en pleine mutation - hôtels raffinés côtoyant braseros de fortune et cohue de gastronomes accroupis sur le trottoir - chic sans ostentation, le ton est parfait, le lieu immense et chargé d’âme, fruit d’une vraie réflexion doublée d’un amour et d’une expertise véritables pour ce qu’est la cuisine vietnamienne. Pour découvrir cet univers de saveurs, de formes, de couleurs, de parfums, d’herbes fraîches, de brochettes, de papiers de riz croustillants et de tofu fondants en une seule palette exquise, « Madame Hien » est le nec plus ultra. Bien sûr, que cela ne vous empêche pas de traîner vos guêtres dans les rues, à la recherche d’une expérience plus sauvage, brute, aléatoire. Mais ne manquez pas de venir passer une heure de félicité dans cet endroit magique chargé de deux histoires, la petite, celle d’une famille, que l’on découvre comme par le trou de serrure d‘une porte de la cuisine, et la grande, celle d’un pays d’une telle cohérence et d’une telle variété, qu’on pourrait le nommer "un monde".
C’est aujourd’hui qu’il faut foncer chez Madame Hien, car nous savons que ce genre d’expérience est par essence éphémère, car oui, le succès viendra, et l’on ne servira plus vingt couverts comme ce soir magique de mai, mais cent cinquante - capacité plausible du lieu - et le service n’aura plus cette même disponibilité ni cette même candeur, car oui, le succès viendra, et l’on ne comptera plus le nombre de groupes qui franchiront le somptueux portail pour venir souiller des mémoires à coups de dollars alléchants, car oui, le succès viendra avec son indissociable inflation , et le génial assortiment d’entrées traditionnelles - un repas complet, tout délices - passera de six à douze ou vingt euros, car oui, le succès viendra, et l’âme, comme souvent, et comme toujours lorsqu’un espace en a la capacité, se verra peu à peu absorbée dans le néant sidéral.
Nous verrons bien si Madame Hien, dont l’âme semble vibrer au-delà du concept, saura survivre au succès annoncé. Mais j’en doute.
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