2.11.2010

Le Corot: luxe, calme et voluptés



Les ailes de la Rolls effleuraient des pylônes
Quand m’étant malgré moi égaré
Nous arrivâmes ma Rolls et moi dans une zone
Dangereuse, un endroit isolé
Serge Gainsbourg, Histoire de Melody Nelson


Les mots du grand Serge flottaient dans la frilosité nocturne. De la berline, qui semblait surfer sur son propre reflet irisé dans l’asphalte humide, j’écarquillai vers l'extérieur des yeux en épingle.
Hiver, banlieue parisienne, manque de sommeil, les habitudes qui s’éloignent, l’inconnu qui vous saisit. Mais d‘aventure, point. Somnolons tandis qu’un ange passe en scooter chinois et nous frôle dangereusement.
En rouvrant les yeux, nous nous trouvons mes amis et moi dans le sublime écrin sepia verdoyant des Etangs de Corot, nouveau fleuron de l’hôtellerie de luxe et perle annoncée de la gastronomie dagovéranienne.
Nous ne saurons que nous émerveiller devant la chaleur cossue des salons, couloirs, paysages, espaces et cabines du Spa Caudalie qu’on nous fait visiter. L’accueil aussi, est charmant, plein de douceur et de bienveillance. Le luxe ici s’est adjoint une alliée de choix: la bonté. C’est comme chez soi, en mieux ( pas besoin de sortir les poubelles ).
Le complexe propose 3 restaurants. Ce soir nous connaîtrons le plus ambitieux, Le Corot, table gastronomique ( il y a aussi le Café des Artistes, façon bistrot chic, et, en saison, les paillotes, face aux divins étangs ). Le chef Benoit Bordier, transfuge de Jean - un macaron bibendum - est aux commandes de tout cela, et nous propose de déguster un échantillon de la nouvelle carte, en six services.
On nous remet le menu, intitulé MENU ( jusqu’ici tout va bien ).
Sous-titres:
Impressions mixtes…
Où comment Corot inspira une carte

On devine la volonté d’inscrire la proposition dans la filiation du peintre Jean-Baptiste Camille Corot qui, nous dit le site de la mairie de Ville d’Avray, passait de longues heures au bord des étangs rangeant son matériel dans une cabane en bois située sous un saule pleureur au bord du vieil étang. On ne nous précise pas s'il avait parfois coutume de s'y gratter les roubignolles, mais c’est tout de même rudement bien renseigné. Le problème c’est que cette volonté de filiation se manifeste de façon un peu approximative: Impressions mixtes nous rappelle davantage la philatélie ( offset et taille-douce, taille-douce et héliogravure sont par exemple des techniques d’impression mixte de timbres) que le peintre susnommé, et on ne comprend pas vraiment bien ce que Corot inspira dans la carte que nous allons découvrir ( et passons sur le où, en lieu et place du ou malgré les protestations outrées de Jacques Capelovici). Les références ne s’arrêtent pas là, le maître d’hôtel est en blouse de peintre - mes amis trouvent cela sympathique, et moi poussif - et il y a des reproductions numériques géantes des toiles du maître ( Corot, pas d'hôtel ). La déco en général est assez réussie, l'atmosphère cosy à souhait, façon relais de chasse remixé par Jacques Garcia, et la cordialité juste du service, tout en finesse, achève de vous mettre à l'aise.
Chic tablée,beurre de la maison Bordier à Saint-Malo, toujours convaincant, et pain extra.

Mise en bouche: huître et œufs de saumon, d’un délicieuse simplicité, fraîcheur impeccable, quelques dés de pain grillé pour le croquant, un régal qui vous met vraiment en appétit au lieu de commencer à vous l’éteindre.

Vient ensuite une palette de couleurs, textures, produits, condiments à l’intitulé foisonnant:
Truite et Pomme Verte
Gelée Vodka huile de truffe
Tuile Sésame
Coulis banane piment
Foie Gras mi-cuit

On nous sert aussi dans un verre une crème froide d’artichaut (avec des noix de cajou et une saveur truffée), dont je ne parviendrai pas à savoir si c’est une deuxième mise en bouche ou un satellite associé au plat auquel je vais m’attaquer. En tout cas, c’est délicieux.

Le plat, lui, laisse un peu perplexe, car un peu fourre-tout, ludique certes, bon sans doute mais on aimerait voir le chef se mouiller davantage, nous en proposer sa lecture, une angle d'attaque, son association rêvée. On aurait voulu savoir comment doser ces condiments (vodka ou banane qui dominèrent parfois les produits) - ou simplement comment les associer (tuile sésame?). C’est aussi l’audace de ces ingrédients conjugués qui font qu’on n’ose pas forcément tenter l’association, qu’on le fait en marchant sur des œufs, là où l’on voudrait que le créateur nous prenne par la main, nous aiguille, nous rassure.
Nous finîmes en associant le foie gras mi-cuit à la crème d’artichaut-cajou, et ça, c’était bon!

Survient alors un plat de haute volée, de grande maison, confondant de maîtrise:

Rouget…potiron à la mélasse, navet boule d’or



Le rouget est superbement cuit, sa peau croustille délicieusement, le navet qui l’accompagne est ferme et fondant à la fois ( oui, comme Eva Longoria ), la purée de potiron à la mélasse donne à leur union la tension aigre-douce qu’elle réclame. C’est limpide. C’est parfait.

Jusqu’ici nous avons bu une flûte de Champagne Bruno Paillard, un verre de Pessac Léognan Les Hauts de Smith 2007 agréable mais au boisé très présent, un jurançon sec 2008 du domaine Larredya qui fonctionna à merveille avec le rouget. Accords mets-vins solidement pensés, et mieux réalisés encore: beaux verres, magnifiques carafes, joli sommelier.

Et maintenant, le plat de viande. Non, de poisson. Non, de viande. Non,…Bon, les deux en même temps, alors? Je ne sais pas s’il s’agit d’une des signatures de Benoit Bordier, mais force est de constater qu’aucun chef ne m’aura fait goûter, en à peine quelques repas, autant de plats mêlant la terre et la mer. C'est forcément risqué. Mais il n’a pas la trouille Benoit, et nous assène, frontal, mieux qu’un poisson-chat: un poisson-veau!
Ici, comme souvent, la proposition déstabilise d’abord: Veau...Riz à l’encre, haddock et citron. C’est même sacrément gonflé si l’on met dans la balance le lieu et le type de clientèle que brasse ce genre d’établissement. La pièce de veau est exquise, juteuse, fondante, les condiments fonctionnent. Osé, mais ça passe!
Très belle bouteille de Pessac Léognan ( idée fixe? Non, c’est le vin de la maison! ) Château Smith Haut Laffite 2003, en accord parfait, millésime à point. Un vrai délice, et pourtant nous n’en sommes pas.


Millefeuille, fève de Tonka, sorbet mandarine
Mon dieu qu’il est difficile de se faire remarquer avec un dessert au chocolat! Combien il est ingrat de passer après le coulant de Michel Bras, après les cromesquis de Philippe Conticini, après les Pepito de notre enfance! Et là, tenez-vous bien: c’est gagné! Et sans esbroufe! Une simplicité à se damner, l’appareil au chocolat est d’un soyeux, d’une intensité et d’une longueur en bouche diaboliques, et le feuilletage, caramélisé à la perfection, à quelques millisecondes de l‘excessif, en équilibre majestueux sur la lisière du risque, qui s’effrite vers le divin…alléluia!
Porto LBV Taylors 2001 - choix sans folie mais de bon aloi.

Heureux, nous accueillîmes pourtant le dernier service avec un rien de scepticisme: Agrume…Orange sanguine, lavande et pétale croustillante. Maître Capello me signale que pétale est masculin. Le dessert est bon, la gelée d’orange sanguine un peu trop prise (Agar-Agar quand tu nous tiens?), la lavande se fait discrète, et des pistaches façon pralines font pulser le tout, mais on ne peut s’empêcher de regretter que l’ordre des desserts n’ait pas été inversé, car il nous semble que les saveurs ici sont beaucoup moins entêtantes que celles du chocolat qui les a précédées sur notre palais ravi. Et pour l’accord, on reste sur le même Porto, là où nous aurions songé peut-être à un Champagne demi-sec.
A l’issue de tout cela, on peut être un peu sonné par le tourbillon créatif qui anime Benoit Bordier, qui souvent nous épate, parfois nous interpelle et, rarement, nous plonge dans la perplexité. D'aucuns lui souhaiteront davantage de déliés, moins de circonvolutions. Cette soirée-là fut en tout cas une vraie réussite, cette nouvelle carte une vraie promesse, et cette adresse une vraie source de plaisir, que nous ne songerons pas à bouder un instant.
Il faut se précipiter à Ville d'Avray pour découvrir cette cuisine pleine d'audace et d'ardeur, à contre-courant du ronronnement docile des banlieues ouest. Nous y retournerons certainement, tester les soins Caudalie, nous évader pour un vrai Week-End à la campagne à un quart d’heure de la Capitale, essayer les autres tables à la belle saison, et avec un peu de chance, comparer une nouvelle fois Eva Longoria à un navet boule d’or!


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